Un Traité de Non-Prolifération des Energies Fossiles pour accélérer le sevrage

© Alex Skelington, Shutterstock

Le monde est drogué aux énergies fossiles et l’heure est venue d’entamer la phase du sevrage. La combustion d’énergies fossiles est la première cause du dérèglement climatique, pourtant aucun instrument de droit international contraignant n’existe pour les réguler. Le Traité de non-prolifération des combustibles fossiles émerge en tant qu’initiative prometteuse pour atteindre les objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Lors de l’ouverture de la COP27, le Premier ministre des Tuvalu a déclaré : « Les mers qui se réchauffent commencent à avaler nos terres centimètre par centimètre. Mais la dépendance du monde au pétrole, au gaz et au charbon ne peut pas couler nos rêves sous les vagues.  » [ 1] Au même moment, il annonça la décision de son pays de rejoindre le « Traité de non-prolifération des combustibles fossiles » [ 2], un traité qui vise, à terme, la sortie des énergies fossiles. En vue de limiter le réchauffement à maximum 1,5°C, la production d’énergies fossiles est censée diminuer de 6% chaque année d’ici 2030 [ 3].

Loin d’espérer limiter le réchauffement à 1,5°C

Plus de 425 « bombes climatiques » [ 4] sont sur le point d’exploser dans le monde [ 5]. Parmi celles-ci, le projet EACOP [ 6] de Total en Ouganda mais aussi, bien plus proches, les mines de charbon Hambach et Garzweiler, à proximité de Cologne en Allemagne. Laisser exploser ces bombes climatiques entraînerait le dépassement des 3°C de réchauffement et des conséquences désastreuses pour la vie sur Terre.



L’Accord de Paris vise la neutralité carbone comme principe mais est lié à des Contributions déterminées au niveau national (CDN) qui ne sont pas alignées sur cet objectif. Par ailleurs, la mise en œuvre de l’accord reste insuffisante, comme en témoigne la COP27 dont le texte final échoue à acter une sortie des énergies fossiles, ne mentionnant qu’un « abandon progressif du charbon » et la « fin des subventions inefficaces » aux combustibles fossiles. Ni la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique de 1992, ni l’Accord de Paris ne mentionnent une sortie des énergies fossiles. Pour pallier cette faiblesse, l’alternative d’un Traité de non-prolifération des combustibles fossiles se présente comme un outil de droit international complémentaire aux traités existants et qui répondrait spécifiquement à cette question.

A menace globale, solution mondiale

Les Tuvalu disparaîtront d’ici quelques décennies, englouties par la montée des eaux. C’est dans la menace directe du dérèglement climatique que s’est forgé leur leadership en la matière. Depuis 2015, les nations insulaires du Pacifique réclament la mise en place d’un moratoire sur le développement et l’extension des industries extractives d’énergies fossiles, en particulier du charbon [ 7]. Et ils ne sont pas les seuls à demander plus de réglementation. En 2017, lors de la COP23, les pays en voie de développement ont réclamé une hausse des ambitions de tous les pays. La même année, universitaires, chercheurs et militants ont déclaré à Lofoten que le carbone renfermé dans les combustibles en production dépasse les limites de l’acceptable. Aujourd’hui, l’idée de l’adhésion à un tel traité se répand rapidement puisque plus de 70 villes (dont Paris, Londres, Los Angeles, Barcelone, et tout récemment la Région de Bruxelles-Capitale), 1 800 organisations de la société civile, 3 000 académiciens mais aussi des Etats, tels Tuvalu, le Vanuatu, le Vatican, ou encore le Parlement européen et l’OMS [ 8] ont signé l’initiative de traité de non-prolifération.

Trois principes fondamentaux du traité

L’idée du traité de non-prolifération des combustibles fossiles s’appuie sur trois principes fondamentaux que sont la non-prolifération, l’abandon graduel de l’exploitation et la transition juste.

  1. La « non-prolifération » consacre l’arrêt progressif de la prolifération du charbon, du pétrole et du gaz et la fin de toute nouvelle activité d’exploration et de production. L’Agence internationale de l’énergie le rappelle : « Il y a une opportunité pour un avenir viable mais elle nécessite qu’à partir d’aujourd’hui il n’y ait plus d’investissement pour de nouveaux projets d’approvisionnement [ 9] ».
  2. « L’abandon graduel » signifie une suppression progressive des stocks et l’arrêt de la production de combustibles fossiles. Au vu des chiffres de 2018, il est estimé que 60% du pétrole et du gaz ainsi que 90% du charbon doivent rester dans le sol pour respecter les objectifs climatiques [ 10]. La première étape nécessite d’identifier les réserves et de limiter l’extraction.
    Grâce aux données collectées par les firmes pour des raisons environnementales (licence, administration) et de profits, les quantités de combustibles sont plus facilement traçables que les gaz à effet de serre.
  3. Enfin, le troisième principe est la « transition juste » qui sera nécessaire pour limiter les dégâts sociaux liés à la sortie des énergies fossiles. Ainsi, pour les travailleurs actifs dans les secteurs des énergies fossiles voués à la fermeture, il faut pouvoir assurer une conversion professionnelle. Par ailleurs, la perspective de l’accès aux énergies est une question centrale pour permettre le développement des pays les plus pauvres, l’accès aux technologies bas carbone s’avèrera crucial. Plusieurs pistes de financement existent, dont l’option de rediriger les 700 milliards de subsides aux énergies fossiles [ 11] vers la transition juste.

A la source de ce projet de traité, il y a le parallèle avec le Traité de non-prolifération nucléaire en vigueur depuis 1970 : même si l’objet est différent, les deux problématiques présentent des similarités comme le fait que les armes nucléaires tout comme le dérèglement climatique posent la menace d’un monde inhabitable. Le processus de négociation est également inspirant car le traité a été conclu dans une atmosphère de tensions, de méfiance et de rivalité entre les Etats les plus puissants de l’époque. Le manque de confiance entre les Etats occidentaux, d’une part, et le « G77 plus la Chine » d’autre part, qui regroupe les pays du Sud dans les négociations internationales, limite chaque année les résultats des COP. C’est pourquoi le parallèle est inspirant : malgré le contexte politique défavorable de la Guerre froide, un accord majeur sur la question nucléaire avait quand même pu être conclu en l’espace de trois ans seulement [ 12]. De plus, le Traité de non-prolifération nucléaire part de la reconnaissance du besoin de sécurité de l’ensemble des Etats, tout comme il est nécessaire aujourd’hui de reconnaître à la fois la nécessité de respecter les limites planétaires et le droit au développement comme bases de la négociation.

Les grands d’abord, les autres ensuite

Cependant, si l’analogie avec le Traité de non-prolifération nucléaire peut être inspirante, elle présente également des limites. Dans le cas des énergies fossiles, même si seulement dix pays compilent plus de 75% des bombes climatiques [ 13], tous les pays du monde sont impliqués dans le commerce des énergies fossiles. Alors que du côté nucléaire, il n’y a que neuf pays qui possèdent l’arme [ 14]. La question de la responsabilité se pose : les émetteurs historiques sont pointés du doigt comme étant les premiers à devoir fournir des efforts, mais ils ne sont pas les seuls. En effet, la déclaration de Lofoten appelle aussi les firmes à agir en affirmant « qu’il est de la responsabilité et du devoir moral des riches producteurs de combustibles fossiles de donner l’exemple en mettant fin rapidement au développement des combustibles fossiles et de gérer le déclin de la production actuelle » [ 15]. En particulier, les pays et les entreprises impliqués dans l’exploitation des 425 bombes climatiques sont les premiers acteurs qui devraient rejoindre l’initiative.

Dans leur rapport, le Carbon Disclosure Project démontre que 100 compagnies sont responsables de plus de 70% des émissions depuis 1988 [ 16]. Parmi celles-ci se retrouvent bien entendu les grandes entreprises pétrolières : Total, Shell, Exxon mais aussi des compagnies possédées par des Etats comme l’Inde (Indian Coal), l’Arabie Saoudite (Saudi Aramco) et la Chine (PetroChina). Au vu de la taille de leur population et de leur économie, il est crucial que ces Etats, qui sont de nouveaux grands émetteurs de gaz à effet de serre, prennent la décision de se joindre au Traité de non-prolifération des combustibles fossiles. Néanmoins, leurs plans de sortie des énergies fossiles s’échelonneraient plus loin dans le temps que pour les pays de l’OCDE.

EU Council : It's Time For A Fossil Fuel Non-Proliferation Treaty
EU Council : It’s Time For A Fossil Fuel Non-Proliferation Treaty
© François Dvorak

Il n’est pas nécessaire que ce traité soit universel pour être efficace

Si l’on interroge les chances de succès d’une telle initiative, il est évident que la sortie des énergies fossiles est une question éminemment complexe et que la négociation d’un tel traité prendra du temps. Néanmoins, suite à l’impasse de Copenhague en 2009, personne ne croyait non plus à la conclusion d’un accord mondial pour le climat six ans plus tard à Paris.

L’idée de ce traité de non-prolifération s’appuie sur le fait que chaque tonne de CO2 qui peut ne pas être utilisée ou exploitée est bonne à prendre pour espérer limiter le réchauffement. Par ailleurs, l’idée est d’instaurer une neutralisation mutuelle des grands acteurs fossiles. L’essence même de l’idée de non-prolifération est que les Etats se surveillent les uns les autres de manière à minimiser le problème du passager clandestin et ainsi encourager la régulation de l’offre d’énergies fossiles.

Le point de départ des négociations pourrait être le charbon, car il est le combustible qui émet le plus de CO2 pour une même quantité d’énergie produite [ 17]. Alors même qu’il est le combustible le plus polluant, les plans nationaux remis par les Etats aux Nations Unies pour 2030 montrent que sa production pourrait représenter près de deux fois et demie celle qui est compatible avec une trajectoire de +1,5°C [ 18]. Cependant, une décision sur le charbon ne signifie pas que tous les pays aient à se mettre d’accord puisque les plus gros producteurs sont, dans cet ordre, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, les Etats-Unis, l’Australie, la Russie et l’Union Européenne. En 2021 la production de l’ensemble de ces pays étaient 8 fois supérieure à celle du reste du monde [ 19].Le nombre réduit d’acteurs faciliterait potentiellement les négociations. Traiter la question du charbon s’avérerait être une porte d’entrée pour réguler les autres combustibles. Néanmoins, le charbon a ceci de particulier qu’il est la source d’énergie au cœur du développement pour des centaines de millions de personnes, en majorité en Asie. C’est pourquoi il faut s’assurer que le pilotage d’une sortie du charbon soit soutenu par des financements destinés aux pays dont l’impact économique est le plus important. L’Indonésie par exemple, a pris les devants en concluant un accord de 20 milliards d’euros avec le G20 qui lui permettrait d’anticiper sa sortie du charbon et de financer sa transition énergétique, avec pour objectif final zéro émission d’ici 2050 [ 20].
Le GIEC recommande de baisser substantivement la consommation et la production des énergies fossiles, de mettre fin aux subventions de ces activités et de désinvestir cette partie du secteur privé [ 21]. Le Parlement européen semble entendre les recommandations du GIEC et exhorte les gouvernements nationaux à « éliminer progressivement les combustibles fossiles dès que possible » [ 22].

Le gaz, le pétrole et le charbon font planer nos économies depuis la Révolution industrielle mais il est temps d’arrêter cette dépendance aux énergies fossiles. Le Traité de non-prolifération des énergies fossiles a le potentiel d’entamer la désintoxication de nos économies et d’avancer vers une transition énergétique juste et ambitieuse.

Climat Energies Multinationales

[ 1] ONU (08-12 2022). « A la COP 27, les pays en développement réclament la justice climatique ». ONU Info : L’actualité mondiale Un regard humain https://news.un.org/fr/st...

[ 2] Voir le site https://fossilfueltreaty....

[ 3] SEI, IISD, ODI, E3G et UNEP. (2020). The production Gap Report 2020 Special Report. https://productiongap.org...

[ 4] Une bombe climatique est un projet d’extraction d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) qui produit plus 1 giga tonne de CO2.

[ 5] Kühne K. et al. (2022). « Carbon bombs » - Mapping key fossil fuel projects. Energy Policy{}, volume 166, 1112950. https://www.sciencedirect...

[ 6] EACOP (East African Crude Oil Pipeline) est la construction du plus long oléoduc chauffé au monde reliant le Lac Albert en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie.

[ 7] Le charbon est le combustible fossile qui émet le plus de CO2 par unité lorsqu’il est brulé comparé au gaz et au pétrole

[ 8] Organisation mondiale de la santé

[ 9] Newell P. & Simms A. (2020). Towards a fossil fuel non-proliferation treaty. Climate Policy, volume 20 (8), 1043-1054. https://www.tandfonline.c...

[ 10] Welsby D. & al (2021). Unextractable fossil fuels in a 1.5°C world. Nature, volume 597, 230-234. https://www.nature.com/ar...

[ 11] OECD (29-08 2022). Support for fossil fuels almost doubled in 2021, slowing progress toward international climate goals, according to new analysis from OECD and IEA. https://www.oecd.org/news...

[ 12] Newell P. & Simms A. (2020). Towards a fossil fuel non-proliferation treaty. Climate Policy, volume 20 (8), 1043-1054. https://www.tandfonline.c...

[ 13] Kühne K. et al. (2022). « Carbon bombs » - Mapping key fossil fuel projects. Energy Policy{}, volume 166,1112950. https://www.sciencedirect...

[ 14] Les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine sont membres du Traité ; la Corée du Nord l’a dénoncé en 2003 ; l’Inde et le Pakistan disposent officiellement de l’arme nucléaire mais ne sont pas membres du Traité ; Israël n’a jamais reconnu officiellement posséder l’arme mais est largement considéré comme la neuvième puissance nucléaire.

[ 15] La déclaration Lofoten « Le leadership climatique exige un déclin contrôlé de la production des combustibles fossiles » (2017) http://www.lofotendeclara...

[ 16] Griffin P. (2017). The Carbon Majors Database, CDP Carbon Majors Report 2017. https://cdn.cdp.net/cdp-p...

[ 17] Schlömer S.et al. (2014) Annex III : Technology-specific cost and performance parameters. Climate Change 2014 : Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Edenhofer O., et al.] Minx (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA

[ 18] SEI, IISD, ODI, E3G et UNEP (2021). The production Gap : Government’s planned fossil fuel production remains dangerously out of sync with Paris Agreement limits. https://productiongap.org...

[ 19] Agence de l’énergie (26-10 2022) Global coal production, 2018-2021. https://www.iea.org/data-...

[ 20] Commission Européenne (15-22 2022) « Déclaration conjointe du gouvernement de la République d’Indonésie et du Groupe des partenaires internationaux » (GPI) https://ec.europa.eu/comm...

[ 21] IPCC, 2022 : Summary for Policymakers [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Tignor, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem (eds.)]. In : Climate Change 2022 : Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change {}[H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 3–33, doi:10.1017/9781009325844.001

[ 22] Voir site : https://fossilfueltreaty....

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